Les mesures gouvernementales prises pour limiter la propagation du coronavirus ont provoqué l'arrêt sinon la baisse d'activité de bon nombre d'entreprises et par là-même des difficultés de paiement des loyers et charges.
Des mesures exceptionnelles ont été adoptées dans ce contexte, comme l'inapplicabilité temporaire des sanctions pour non-paiement du loyer qui reste néanmoins exigible:
1- Ordonnances n°2020-306 et 2020-316 du 25 mars 2020.
La première s'appliquait à tous les contrats et privait temporairement d'effet les clauses résolutoires pendant la période du 12 mars au 23 juin 2020.
La seconde interdisait l'application des pénalités et clauses résolutoires pour non-paiement des loyers et charges échus entre le 12 mars et le 11 septembre 2020, mais ne pouvait être invoquée que par les personnes physiques ou morales exerçant une activité économique susceptible de bénéficier du fonds de solidarité, à savoir toute personne de droit privé non contrôlée par une Holding, ayant fait l'objet d'un fermeture administrative en mars 2020 ou ayant perdu plus de 50% de son chiffre d'affaires, n'employant pas plus de 10 personnes, et dont le dernier chiffre d'affaires est inférieur à 1 000 000 euros.
Ces deux ordonnances ont paralysé certaines des sanctions encourues en cas de non-paiement de loyers, mais n'ont pas suspendu l'exigibilité desdits loyers ainsi qu'en a notamment jugé le Tribunal judiciaire de Paris saisi d'une action en suspension de l'exigibilité des loyers échus au cours de la période juridiquement protégée ( Tribunal Judiciaire de Paris 18ème Chambre 2e section 10 juillet 2020 N°20/04516)
2- Charte de bonnes pratiques pour encadrer les reports ou annulations de loyers (circulaire du 22 juillet 2020)
Cette charte concerne les commerçants qui ont dû fermer pendant la crise sanitaire, et organise le recours au Médiateur ou à la commission Départementale de Conciliation (dont les prérogatives ont été élargies).
3- Loi N° 2020-1379 du 14 novembre 2020 dont l'article 14 adopte des mesures sensiblement identiques à celles de mars 2020: inapplicabilité des sanctions (pénalités, résolution, activation de garanties...) pour non-paiement de loyers ou de charges locatives, afférents à des locaux professionnels ou commerciaux, échus à compter du 17 octobre 2020 jusqu'à 2 mois suivant le jour où la mesure de police administrative a pris fin.
Le Décret N°2020-1766 du 30 décembre 2020 en définit les critères d'éligibilité: les personnes de droit privé affectée par une mesure de police administrative prise en raison de l'épidémie, dont l'effectif est inférieur à 250, le dernier chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros... et qui exercent dans les domaines de l'hostellerie- restauration, la culture, le sport, les voyages... (cf annexe 1 du décret).
La loi du 14 novembre 2020 va toutefois plus loin que les ordonnances de mars 2020 dans la protection des locataires puisqu'elle interdit aux bailleurs d'initier des mesures conservatoires au titre des loyers échus pendant la période de protection, et qu'elle paralyse également pendant cette période, les procédures d'exécution engagées par le bailleur pour recouvrer des loyers ou charges impayés.
Toutes les mesures législatives et réglementaires qui ont été adoptées ne sont que temporaires et ne profitent qu'à certaines catégories d'agents économiques; elles laissent d'autre part subsister le problème de l'exigibilité des loyers et charges locatives impayés.
Le gouvernement a tenté d'y répondre partiellement par des mesures fiscales d'incitation à l'abandon de loyers:
- L'article 20 de la loi de finances pour 2021 prévoit au profit de bailleurs de locaux ayant fait l'objet d'une fermeture administrative, ou dont les locataires exercent leur activité dans certains secteurs déterminés, un crédit d'impôt de 50% des loyers de novembre 2020 qu'ils acceptent d'abandonner ou d'annuler.
- Ces mesures d'incitation complètent les mesures fiscales adoptées par la loi 2020-473 du 25 avril 2020 (exonération d'impôt sur le revenu des abandons ou renonciation de loyers...)
Au delà de ces mesures d'incitation ciblées et aléatoires, il importe de savoir quels moyens juridiques peuvent être utilisés par bailleurs et locataires en cas de loyers et charges impayés.
1- Les actions en paiement restent théoriquement possibles quel que soit le domaine d'activité du preneur, seules les procédures d'exécution sont paralysées à l'encontre des locataires éligibles à la protection de la loi du 14 novembre 2020 et pour la durée de cette protection.
Certains locataires dont les locaux ont fait l'objet d'une fermeture administrative ont vainement invoqué devant les Tribunaux, l'exception d'inexécution pour manquement à l'obligation de délivrance, la force majeure ou le fait du prince pour se soustraire au paiement des loyers (CA PARIS Pôle 1 chambre 2 , 18 mars 2021 N° 20/13420 - CA RIOM 1ère Chambre 2 mars 2021 N°20/01418 - TJ PARIS 17/07/2020 N°20/50920), ou pour en demander la restitution (TJ PARIS 25/02/2021 N° 21/02353).
Sauf exception (JEX Paris 20 janvier 2021 20:80923) le moyen tiré de la perte du local loué sur le fondement de l'article 1722 du code civil est généralement rejeté (CA LYON 8ème chambre 31 mars 2021 N° 20/05237)
En revanche, dans deux ordonnances du 26 octobre 2020, le Juge des référés du TJ de Paris s'est fondé sur l'exception d'inexécution tenant à l'obligation d'exécuter les contrats de bonne foi, pour juger que l'action en paiement de loyers afférents au 2ème trimestre 2020 se heurtait à une contestation sérieuse en raison:
- d'une part, de l'activité du preneur fortement impactée par les mesures de confinement (salle de sport),
- d'autre part les démarches du preneur pour négocier des modalités de paiement. (N°20/55901 et 20/53713).
Il s'agit de deux décisions d'espèce et non de principe. Tout est question de circonstances.
2- Les actions en acquisition de clause résolutoire pour non paiement de loyers échus hors période et hors domaine de protection, restent également théoriquement possibles.
Certaines décisions judiciaires ont toutefois laissé sous-entendre que des moyens juridiques relevant du droit commun, à savoir les articles 1104 et 1217 du code civil, étaient susceptibles d'être opposés par le preneur aux sanctions sollicitées par le bailleur:
Pour se prononcer sur l'exception d'inexécution soulevée par le preneur (art. 1217 C. civ) le Juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris a rappelé que les contrats doivent être exécutés de bonne foi (art.1104 C.civ.) ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaires une adaptation des modalités d'exécution de leurs obligations respectives. Il en a conclu à l'existence d'une contestation sérieuse excluant sa compétence.
Autrement dit, le moyen tiré de l'exception d'inexécution doit être examiné, non pas à la lumière de l'obligation de délivrance, mais à la lumière de l'obligation pour les parties de négocier de bonne foi les modalités d'exécution de leur contrat (TJ PARIS 21:01:2021 N°20/55750 - TJ Paris 18 septembre 2020 N°20/30974).
Il s'agit à chaque fois de décision d'espèce et non de principe: tout est affaire de circonstances et de comportement du locataire, qui a toujours le droit de solliciter des délais de paiement et la suspension corrélative de la clause résolutoire.
Au delà de la période de protection juridique, toutes les actions judiciaires pourront être entreprises, et les décisions de justice exécutées.
Au regard d'une jurisprudence encore incertaine, l'aléa des contentieux demeure très important, tant en référé qu'au fond, et plaide en faveur de solutions négociées.
Maître Andrée FOUGERE
Avocat à la Cour d'appel de Paris
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