ANDREE FOUGERE
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INCIDENCE DU DIVORCE SUR LA CLAUSE BENEFICIAIRE AU PROFIT DU CONJOINT


Bon nombre de clauses bénéficiaires de contrats d'assurance vie sont établies au profit du conjoint du souscripteur ou de l'adhérent.

Comment cette clause bénéficiaire doit-elle être exécutée en cas de divorce ?

 

En vertu de l’article L.223-10 du Code de la mutualité « le capital ou la rente garantie sont payables lors du décès du membre participant à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés.

Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de la garantie est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour être identifiées au moment de l'exigibilité du capital ou de la rente garantis.

Est notamment considérée comme remplissant cette condition la désignation comme bénéficiaires des personnes suivantes :

 - les enfants nés ou à naître de l'adhérent ou de toute autre personne désignée ;

 - les héritiers ou ayants droit du membre participant ou d'un bénéficiaire décédé.

L'assurance faite au profit du conjoint profite à la personne qui a cette qualité au moment de l'exigibilité.

Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l'assurance en proportion de leurs parts héréditaires. Ils conservent ce droit en cas de renonciation à la succession ... »

 

Pour l'application de ces dispositions il faut distinguer, en cas de divorce, selon que la clause bénéficiaire

a désigné nommément ou non le conjoint.

Dans la première hypothèse le divorce est sans incidence sur l'attribution bénéficiaire sauf révocation expresse. Dans la seconde hypothèse le divorce entraîne la perte du bénéfice de cette attribution puisque l'ex-conjoint ne peut plus se prévaloir de cette simple qualité au moment de l'exigibilité.

 

La règle s'applique même en cas de remariage du souscripteur.

La jurisprudence considère en effet que, même en cas de remariage du souscripteur, le capital décès profite au conjoint divorcé dès lors qu'il a été nommément désigné comme bénéficiaire dans le contrat d'assurance vie:

Il a notamment été jugé par la Cour d’appel de Paris que « Bien que la demanderesse ait la qualité d'épouse non séparée de corps au moment du décès de son mari, souscripteur d'un contrat d'assurance en cas de décès, elle ne peut prétendre au versement du capital décès dès lors que le contrat d'assurance sur la vie comportait la désignation d'un bénéficiaire dénommé, à savoir la première épouse du souscripteur… »

Cour d’appel de PARIS, Ch. civ. 7, sect. A, 20 septembre 2005 Jurisdata N°2005-280659

 

Le divorce  n’a en soi, et faute de révocation, aucune incidence sur la désignation du conjoint divorcé qui a été nommément désigné comme bénéficiaire du capital décès,  et ce tant en application des articles 268 et 1096 du code civil dans leur version antérieure à la réforme du divorce entrée en vigueur le 1er janvier 2005, qu’en application des articles 265 et 1096 issus de la loi du 26 mai 2004.

 

I- Sur l’incidence du divorce en application des articles 1096 et 268 du code civil dans leur version antérieure à la réforme du divorce et des libéralités.

Avant la réforme du divorce, le divorce n'entraînait pas en soi la révocation de l'attribution bénéficiaire du capital décès au conjoint divorcé nommément désigné, sauf révocation expresse.

 

En vertu de l’article 47 III de la loi du 23 juin 2006 « les donations de biens présents faites entre époux avant le 1er janvier 2005 demeurent révocables dans les conditions prévues par l'article 1096 du Code civil dans sa rédaction antérieure à cette date..." qui dispose « toutes donations faites entre époux pendant le mariage, quoique qualifiées entre vifs, seront toujours révocables. »

Ces dispositions obéissent au principe de non rétroactivité de l’application de la loi nouvelle aux contrats en cours conformément à l’article L.223-13 du code de la mutualité en vertu duquel

« Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès du membre participant à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession du membre participant. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour de la signature de l'adhésion à la garantie ou du contrat collectif, même si son acceptation est postérieure à la mort du membre participant. »

L’attribution bénéficiaire du contrat d’assurance-vie est  donc indépendante de la liquidation du régime matrimonial qui elle, en revanche, est un effet du divorce.

 

Selon l’article 268 du code civil « quand le divorce est prononcé sur demande conjointe, les époux décident eux-mêmes du sort des donations et avantages qu’ils s’étaient consentis ; s’ils n’ont rien décidé à cet égard ils sont censés les avoir maintenus. »

La cour d’appel de Paris a fait application de ces dispositions dans un cas d'espèce où le jugement de divorce par consentement mutuel avait été prononcé le 24 novembre 2005 et où la désignation bénéficiaire remontait au 8 février 1996:

« Considérant qu'en tout état de cause, à supposer même que l'attribution à Madame L. du bénéfice du capital-décès dû par l'IPSEC puisse s'analyser en une donation indirecte, il résulte de la combinaison des articles 1096 et 268 du code civil dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2005, applicables en la cause, que cette donation ne pouvait être révoquée de plein droit par la séparation de corps puis le divorce des époux D./L., prononcés sur leur demande conjointe ;

Qu'à cet égard, la convention définitive homologuée par le jugement de séparation de corps n'a rien prévu, les parties n'ayant révoqué que les avantages matrimoniaux pouvant résulter des stipulations d'une donation entre époux du 12 février 1980, et que Daniel D., qui, certes, conservait la faculté de révoquer la libéralité en modifiant la clause bénéficiaire, n'en a rien fait, comme il a été vu ci-dessus ; »

Cour d’appel PARIS Pôle 2, chambre 5, 24 mai 2011, N°09/09924

 

II- sur l’incidence du divorce en application des articles 265 et 1096 du code civil en vigueur depuis le 1er janvier 2005.

La solution est la même que sous l’empire de la loi ancienne: considérée comme une donation de biens présents, l'attribution bénéficiaire du capital décès profite au conjoint divorcé sauf révocation par le souscripteur.

 

En vertu de l’article 265 alinéa 1 du code civil, « le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme.

Le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l'union, sauf volonté contraire de l'époux qui les a consentis. Cette volonté est constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l'avantage ou la disposition maintenus.

Toutefois, si le contrat de mariage le prévoit, les époux pourront toujours reprendre les biens qu'ils auront apportés à la communauté. »

L’article 1096 du code civil dispose que « La donation de biens à venir faite entre époux pendant le mariage est toujours révocable. La donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage faite entre époux n'est révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958 ».

 

L’incidence de ces dispositions sur l’attribution bénéficiaire d’un capital décès est à apprécier en considération de la nature juridique de cette attribution, qui, de par sa spécificité, est qualifiée par la doctrine, de donation de biens présents, et en cette qualité révocable AD NUTUM.

La qualification de donations de biens présents se fonde sur la constatation que la désignation bénéficiaire même acceptée après le décès ne porte jamais sur un actif successoral: les primes qui alimentent le capital décès sont en effet prélevées sur des biens présents;  au dénouement du contrat, le bénéficiaire acquiert donc sur le capital décès un droit dont la naissance remonte à la souscription du contrat.

Les dispositions applicables au capital décès excluent son rattachement aux donations de biens à venir :

« 11. - Les dispositions à cause de mort concernent à la fois les legs et les donations de biens à venir. Un legs est une disposition à cause de mort qui résulte d'un testament et qui porte sur un effet de la succession Note 8 . Certains auteurs penchent en faveur de l'application de cette qualification à la clause bénéficiaire Note 9 .

12. - Certes, cette position pourrait se recommander d'une jurisprudence de la Cour de cassation antérieure à la loi de 1930 Note 10 qui qualifiait de legs la désignation bénéficiaire effectuée dans un testament. Mais la loi de 1930 a mis un terme à cette assimilation dans l'article L. 132-8, alinéa 6. Le testament est un mode de désignation possible, au même titre que l'avenant par acte authentique ou sous seing privé, l'endossement pour une police à ordre, et la signification en vertu de l'article 1690. Le formalisme en l'occurrence ne préjuge pas nécessairement de la qualification du contenu de l'acte.

13. - Un autre fondement de l'assimilation de la désignation bénéficiaire à un legs peut éventuellement être recherché non plus dans la forme mais dans l'objet du legs. Cet objet est un effet de la succession, c'est-à-dire un bien qui subsistera au décès et dont le légataire ne sera propriétaire qu'à compter du décès ou de l'envoi en possession. Or le bénéfice du contrat n'est pas un effet de la succession. La rétroactivité de la stipulation pour autrui interdit absolument une telle analyse puisqu'elle investit le bénéficiaire du droit au capital garanti. » depuis le jour de la souscription du contrat. Quant aux primes versées, ce sont de toute évidence des versements de biens présents. L'analogie avec le legs n'est donc pas concevable que l'on considère les primes ou le capital. La Cour de cassation a d'ailleurs tranché en ce sens dans un arrêt très péremptoire énonçant que l'article 504 du Code civil applicable au testament du majeur protégé ne concerne pas le contrat d'assurance-vie Note 11 .

14. - La qualification de legs quoique séduisante ne peut être retenue et le raisonnement qui exclut le legs entraîne en même temps le refoulement de toute analogie avec la donation à cause de mort. Une donation à cause de mort est un acte de transmission par contrat Note 12 d'un effet de la succession, elle n'opère aucun transfert de propriété du vivant du souscripteur. Le particularisme des donations de biens à venir qui les rapproche fortement des legs, écarte toute assimilation de la désignation bénéficiaire à cette catégorie. L'émolument recueilli par le bénéficiaire ne porte pas sur un bien successoral. »

Assurance-vie – La clause bénéficiaire en assurance-vie à l’épreuve de la réforme du divorce et des libéralités – Etude dirigée par Suzanne HOVASSE.

La Semaine Juridique Edition Générale n°18, 2 mai 2007, doctrine 150

 

En conclusion, lorsque la clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie a été rédigée au profit du conjoint nommément désigné, l'assureur ou la mutuelle ont l'obligation de verser le capital décès à la personne ainsi désignée, quand bien même le divorce lui aurait fait perdre la qualité de conjoint au moment de l'exigibilité , sauf révocation expresse du souscripteur.

 

 


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